C'est dans le cadre d'un projet de recherche piloté par Askoria que Pierre Mazet, en charge du Labaccès brestois connu pour ses travaux sur l'illectronisme, a réalisé une étude quantitative et qualitative sur les conseillers numériques France services (CNFS) pour le compte de l'ANCT. Au total quelque 1.071 CNFS ont répondu à une centaine de questions. Le résultat, publié en mai 2023 concomitamment à la feuille de route inclusion numérique (notre article du 27 avril 2023), brosse un portrait minutieux des CNFS. Il pointe aussi les lacunes du dispositif.
Formation déconnectée
Agés de 36 ans en moyenne, les CNFS ont majoritairement une expérience dans l'accueil des publics (62,5%) et de l'accompagnement numérique (47,5%). Ils ont une pratique d'internet (score de 9,37/10) et des réseaux sociaux (6,87/10), dans une moindre mesure ils maitrisent les usages créatifs ou les logiciels libres. 78% ont eu une formation "longue" sans pour autant qu'elle les aide à assumer leurs missions. L'adaptation de la formation à ce que les CNFS imaginaient de leur poste a en effet une note de seulement 31,95/100 ; le manque le plus criant portant sur la maitrise des problématiques administratives. Globalement leur formation apparait "comme déconnectée des conditions d'intervention", confortant le ressenti exprimé par un certain nombre d'élus.
Prise de poste compliquée
Autre point saillant, "près de 42% des CNFS déclarent avoir rencontré des difficultés lors de leur prise de poste", plus d'un tiers d'entre eux trouvant que leur poste n'avait pas été "précisément défini". Plus ennuyeux : l'enquête qui s'est déroulée en deux sessions (fin 2021 et printemps 2022) ne montre pas d'amélioration de ce point entre les deux vagues d'enquête… Mais il est vrai que pour 4 postes sur 5, le CNFS est une création ce qui peut expliquer certains retards à l'allumage. Autre souci régulièrement évoqué dans les colloques sur l'inclusion numérique : la méconnaissance des structures du fait que le CNFS à peine arrivé doit repartir en formation avant d'être pleinement opérationnel.
Les villes, principales structures d'accueil
Sans surprise, les collectivités sont les principales structures d'accueil des CNFS (71%) avec en tête les villes (27%) suivies des communautés de communes (21%) et des départements (13%). 67,6% des répondants ont été recrutés à un niveau de catégorie C, 23,5% en catégorie B, et 8,9% en catégorie A. Les trois quarts des CNFS interviennent sur plusieurs sites avec un nombre moyen de 7 lieux d'intervention. On notera que les CNFS, intervenant sur plusieurs lieux, citent beaucoup plus l'accueil social comme principal lieu d'intervention (31%) que ceux intervenant sur un seul site (18%). Si les CNFS sont plus mobiles que les animateurs multimédias des années 2000, ils se sentent toujours "territorialement isolés", c'est-à-dire sans alter ego dans la structure, les interactions avec les autres structures de médiation ou acteurs sociaux locaux restant limitées. Seulement la moitié d'entre eux connaissent du reste la stratégie d'inclusion territoriale dans laquelle s'intègre leur action.
Peu "d'aller vers"
En termes de cibles, les CNFS ont du mal à toucher les personnes les plus éloignées du numérique. "Les usagers sont principalement venus d'eux-mêmes parce qu'ils ont entendu parler de l'intervention ou parce qu'ils connaissaient déjà le lieu, et/ou ont été en contact avec un autre service de la structure", note l'étude. Ces usagers sont en attente d'un accompagnement "numérique du quotidien" (82/100), cité avant la demande de montée en compétence (76/100) et l'accompagnement sur les démarches administratives. Sur ce dernier point, les chercheurs notent cependant des écarts importants à la moyenne, signe d'une grande variabilité des situations.
Personnes âgées prédominantes
Le profil type d'une structure d'accueil est une personne âgée, ayant l'habitude de fréquenter les administrations et en demande de "réassurance" plutôt que de véritable formation. Un public âgé – peu soumis aux formalités administratives - qui prédomine devant les personnes "isolées" et "précaires", les jeunes étant sans surprise les moins assidus. Ce profil dominant expliquerait en partie la faible "circulation des publics" d'une structure à l'autre, les usagers n'étant majoritairement pas en demande d'un aiguillage.
Dernier point, peu rassurant, 70% des répondants ne savaient pas si leur poste allait être pérennisé à la date de l'enquête, 17% (soit 182 CNFS) sachant déjà qu'il ne le serait pas. Un point que la feuille de route inclusion n'a pas totalement levé puisqu'elle mise essentiellement sur les collectivités pour financer les postes de CNFS.
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