Jeudi 14 novembre, 23% des enseignants du premier degré ont fait grève en France contre la réforme des rythmes scolaires. Ils étaient 41% pour l'académie de Paris. A Paris justement, deux jours auparavant, les deux tiers des animateurs étaient aussi en grève, selon la mairie. Selon un sondage BVA, 54% des Français estiment que le gouvernement devrait abandonner la réforme. Le ministère avait pourtant publié un premier bilan très positif de la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires, affirmant qu'il n'y avait "aucune difficulté" pour 93,5% des communes qui avaient engagé la réforme à la rentrée 2013. Quelques-unes ont pourtant fait demi-tour : Crillon (Oise), Boves (Somme)...
Cinquante-cinq maires (essentiellement de droite ou sans étiquette), regroupés dans le "Collectif contre la réforme des rythmes scolaires", ont déclaré qu'ils n'appliqueront pas la réforme "en l'état" à la rentrée 2014, dans leur ville : Elancourt, Courbevoie, Levallois-Perret, Massy, Saint-Maur-des-Fossés, Le Chesnay, Le Raincy, Levallois-Perret, Sceaux… mais aussi Cannes, Mâcon… Et la liste s'allonge avec les dernières déclarations des maires (UMP) de Nice, de Marseille, de Montluçon et de Vichy.
"Monsieur Estrosi peut s'enchaîner aux grilles s'il le veut"
Et pourtant, Vincent Peillon a encore affirmé jeudi qu'"il n'y aura pas de retour". Il s'exprimait en clôture du colloque "Réforme scolaire : trouver le bon rythme", organisé par nos confrères de La Gazette des communes et Acteurs de la vie scolaire.
"Si nous disons : il y a école le mercredi matin, il faut ouvrir l'école (...) il n'y a pas le choix, sinon on est condamné", a déclaré le ministre de l'Education nationale, ajoutant : "Monsieur Estrosi peut s'enchaîner aux grilles s'il le veut, et nous appellerons les forces de l'ordre". "Par contre, si Monsieur Estrosi, si en pointe sur la sécurité, veut faire des orphelins de 15H45, ça je n'y peux rien. Après l'école, les collectivités locales doivent organiser, si elles le souhaitent, ce n'est pas obligatoire, l'accueil des enfants." Il faudra donc que les maires "assument de mettre les enfants à la porte à 15H45 alors même qu'ils toucheront de l'argent" pour financer les activités périscolaires, a-t-il poursuivi.
La matinée de ce colloque du 14 novembre avait été plus calme, bien que portée elle aussi par la conviction du bien-fondé de la réforme. Plus concrète aussi, puisqu'il s'agissait de donner la parole à ceux qui ont "les mains dans le cambouis" : maires et adjoints à l'Education, agents des services municipaux, animateurs, dont les villes sont parties dès la rentrée 2013. "Peillon, tiens bon !", disaient-ils tous en substance. En aparté, c'est d'ailleurs moins du ministre de l'Education nationale que du sommet de l'Etat que l'on craint un fléchissement. Dès lors, "nous mettrions 10 ans à nous en remettre et à envisager une nouvelle réforme", s'inquiétaient des participants en marge des tables rondes.
Pour autant, personne n'a assuré n'avoir rencontré "aucune difficulté". Le propre du "rodage", selon Pierre-Alain Roiron, maire de Langeais et président de la commission éducation et culture à l'AMF.
Le partage des locaux et le cartable du mercredi
Les difficultés rencontrées sont presque toujours et presque partout les mêmes : l'effort budgétaire (*), la disponibilité et le partage des locaux ; la transition et la transmission entre les temps scolaires et périscolaires ; la gestion de la sieste pour les tout-petits et la nécessaire adaptation des rythmes pour la maternelle ; l'absentéisme et le turn-over des animateurs, les propos méprisants d'enseignants et de parents envers les animateurs et les Atsem, les pressions, tensions et nécessaires concertations avec les enseignants, les animateurs, les Atsem et les parents ; la relation aux parents "exigeants" voire "consuméristes" ; la fatigue réelle ou supposée des enfants ("la fatigue des enfants, elle nous est rapportée par les enseignants et les parents, mais jamais par les enfants eux-mêmes. Eux, ils sont ravis !", assure par exemple Jacques Salvator, maire d'Aubervilliers)… mais aussi l'heure de la récréation, le cartable du mercredi, les coûts non prévus… Ainsi, "la réforme des rythmes a provoqué une augmentation de 40% de la fréquentation des centres de loisirs du mercredi après-midi", s'étonne encore Jacques Salvator, en profitant pour glisser "c'est la preuve que ce qu'on l'on dit sur la fatigue des enfants est à prendre avec des pincettes".
Mais personne ne regrette. Même pas Jacques Salvator qui a essuyé de nombreuses grèves, qui plus est très médiatisées. Il reconnaît s'être trompé en ayant cru au "sentiment d'unanimité dans la communauté éducative" dans sa ville et en restant sourd aux "retours mitigés" issus de la concertation. Mais il a également conscience que " pour une ville comme Aubervilliers, on aurait eu les pires difficultés à recruter des animateurs en 2014".
Les animateurs en voie de reconnaissance
La question va se poser avec acuité à la rentrée 2014. L'Etat a calculé qu'il faudrait recruter 300.000 animateurs et 70.000 directeurs pour assurer les temps d'activités périscolaires (TAP). Où les trouver ?
Certes, la réforme des rythmes a apporté une "reconnaissance aux métiers de l'animation", se félicite Jérôme Henri, représentant de la profession des animateurs au comité de suivi national de la réforme des rythmes scolaires. Reste que "c'est une profession qui souffre et qui est toujours décriée", ajoute ce secrétaire national du SEP-Unsa, responsable du service enfance jeunesse du Pays Mornantais (69). Et comment attirer des jeunes vers un tel métier, aux contrats souvent précaires, avec des horaires "saucisonnés", sans perspective de carrière ? Sa solution : la qualification et la formation. Avec l'idée que le Bafa n'est qu'une "porte d'entrée", dont il ne faut en aucun cas se contenter. "Dans le périscolaire, peu d'animateurs ont des diplômes professionnels, en partie parce que les collectivités investissent peu en eux au vu du fort turn-over". Un cercle vicieux en quelque sorte.
Des Atsem "bien dans leurs baskets"
Pour rompre ce cercle, la ville de Roubaix s'est engagée dans un plan de résorption de la précarité, notamment en proposant des temps de travail "plus complets" et en apportant "plus d'intérêt dans le travail". C'est aussi la démarche entreprise par Arras en direction des Atsem, via leur engagement croissant dans les temps d'activités périscolaires (sieste à cheval entre le temps scolaire et périscolaire, animation d'ateliers à caractère "ludique" ou "reposant"). "Nous les avons valorisées, requalifiées et elles prennent aujourd'hui leur fonction à cœur", assure Evelyne Beaumont, maire-adjoint à l'éducation, convaincue que "c'est aussi pour l'intérêt de l'enfant que l'Atsem doit être bien dans ses baskets", rappelant qu'elles sont "souvent malmenées par des enseignants qui les considèrent comme leurs 'larbins'".
Pour faire face au problème de recrutement, Philippe Relin, conseiller municipal d'Eragny-sur-Oise, a tenté de faire valoir auprès de l'Education nationale l'intérêt de ne pas avoir les mêmes rythmes dans toutes les écoles, histoire de "faire tourner" les animateurs. Un compromis a été trouvé pour deux heures dans la semaine mais tous les vendredis, à la même heure (15h30-16h30), tous les élèves de toutes les écoles d'Eragny sont en TAP. En 2014, si la réforme des rythmes scolaires est maintenue et que les collectivités doivent recruter sur un marché de l'emploi toujours aussi rétréci, il sera de plus en plus difficile pour l'Education nationale de résister à de tels aménagements… A moins de se contenter de pseudo-animateurs non qualifiés, non fiables et non durables. Et de planter la réforme "pour au moins dix ans".
(*) Pour les villes présentes à la tribune du colloque, les surcoûts estimés par an et par enfant sont de 130 euros à Langeais, 150 euros à Eragny-sur-Oise, 165 euros à Pont-de-Buis-sur Quimerch, 210 euros à Arras et 360 euros à Roubaix.
Valérie Liquet avec AFP
Jean-Marc Ayrault attendu...
"Ce ne sont pas les maires qui décident des horaires des cours, ils décident des activités après la classe", a insisté le Premier ministre ce 15 novembre sur France info. "La réforme doit être faite et sera faite", a-t-il réaffirmé.
Jean-Marc Ayrault devait dans la foulée apporter un soutien appuyé à son ministre de l'Education nationale en se rendant avec lui à Cluny, en Saône-et-Loire, visiter l'école primaire Danielle Gouze-Mitterrand. Le ton était à la fermeté. "Je ne vois pas pourquoi on abandonnerait cette ambition" et il n'y a "pas de boycott possible" pour les maires récalcitrants, a martelé le chef du gouvernement lors de cette visite, tout en admettant que "dans des petites communes, il [pouvait] y avoir des difficultés particulières".
Le Premier ministre en dira-t-il plus sur la prise en compte de ces "difficultés particulières" lors de son intervention, mardi 19 novembre, en ouverture du congrès des maires ? Sur les rythmes scolaires comme sur d’autres dossiers, ce discours de Jean-Marc Ayrault est en tout cas très attendu.
Mais en attendant... le ministère de l'Education nationale continuait d'affûter sa communication. Après la diffusion mercredi d'un document de travail intitulé "L'école maternelle et les nouveaux rythmes scolaires" (voir notre article du 13 novembre), ce vendredi 15 novembre, il annonçait la mise en ligne de quatre vidéos "afin de poursuivre son objectif de pédagogie". Chacune de ces vidéos s'employant à démonter une critique adressée à la réforme et se terminant par le slogan "Nouveaux rythmes pour mieux apprendre à l'école". Et quelques heures plus tard, le même ministère diffusait un communiqué de presse consistant en un "rappel des compétences respectives de l’Etat et des communes en matière d’organisation des temps éducatifs". Histoire d'être sûr que les choses soient bien claires pour tout le monde... avant le congrès des maires.
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