Même schéma qu'il y a un peu moins de trois ans (voir notre article de janvier 2020 "Crise de l'ASE : le bébé avec l'eau du bain ?") : la diffusion sur M6 d'un reportage à charge sur l'aide sociale à l'enfance, suivie de la réaction du secrétaire d'État chargé de l'enfance (hier Adrien Taquet, aujourd'hui Charlotte Caubel) assurant que de nouvelles mesures seraient prises... et de celle de Départements de France parlant de "comportements inacceptables" qui doivent être "sévèrement sanctionnés" mais refusant de "laisser à croire que quelques cas particuliers défaillants représentent l’ensemble des actions mises en œuvre avec dévouement par les professionnels de l’enfance et par les départements".
Dans le reportage diffusé ce dimanche 15 octobre dans le cadre de l'émission Zone interdite, deux journalistes ont filmé en caméra cachée leur embauche en tant qu'assistants familiaux sans le moindre contrôle des services de l'ASE sur leurs antécédents, ou même sur leur identité. "Cette situation ne peut plus exister", a commenté Charlotte Caubel dans une interview diffusée après le reportage. Tout professionnel au contact d'un enfant, mais également tout bénévole dans son entourage devront faire l'objet "régulièrement" de contrôles, a ajouté la secrétaire d'État.
Les journalistes sont par ailleurs retournés dans un foyer de Seine-Saint-Denis où ils avaient filmé le quotidien d'adolescents livrés à eux-mêmes. Depuis, les locaux ont été rénovés mais les jeunes semblent occuper leur journée en faisant le guet pour les vendeurs de cannabis des cités voisines. Dans un autre foyer, des adolescentes hébergées se prostituent régulièrement et leurs éducatrices, filmées en caméra cachée, avouent leur impuissance. "Choquée" par ces "dysfonctionnements", Charlotte Caubel a assuré que recrutements et formations seraient lancés pour renforcer les contrôles.
Le reportage montre également la situation d'adolescents déscolarisés et atteints de troubles psychiques, placés par l'ASE dans des hôtels où ils passent toutes leurs journées. La loi Taquet de février dernier a justement prévu de mettre fin à ces situations, rappelle la secrétaire d'État. Un "temps d'adaptation" est nécessaire, mais "début 2024 il n'y aura plus d'enfant dans les hôtels sociaux en France", a-t-elle assuré.
Ne pas "oublier le travail de milliers de professionnels exemplaires"
Charlotte Caubel s'est ensuite exprimée via une série de tweets. "Il y a des dysfonctionnements graves qui conduisent à des drames. Ils sont d’autant plus intolérables qu’ils touchent des enfants aux parcours déjà fracturés, cabossés par la vie", écrit-elle, poursuivant : "À compter du 1er novembre, le champ des contrôles sera élargi. Non seulement on vérifiera les casiers judiciaires des candidats mais on s’assurera également tout au long de leur carrière qu’ils ne soient pas inscrits au Fichier des infractions sexuelles et violentes. Le contrôle des établissements sera renforcé. J’ai demandé le recrutement de plusieurs dizaines de personnes pour renforcer les moyens de contrôle. Nous allons aussi former dès le mois de novembre 300 personnes sur 3 ans pour une meilleure évaluation des établissements." La secrétaire d'État prend tout de même soin de souligner que "ces dysfonctionnements ne doivent pas faire oublier le travail de milliers de professionnels exemplaires".
Dès dimanche soir, le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, qui fait donc partie des départements mentionnés, a diffusé un communiqué qui, sans nier "les difficultés relatées", tient à apporter certaines précisions et regrette "le traitement systématiquement négatif fait de la protection de l’enfance et des professionnels par cette émission".
Le département indique entre autres que l'équipe de M6 "a pu accompagner des visites de contrôle inopinées réalisées dans plusieurs hôtels sociaux, visiter un établissement ouvert quelques mois auparavant comme alternative à l’hôtel, rencontrer des professionnels et des jeunes" et interviewer longuement son président, Stéphane Troussel, présentant le travail mené pour "remédier progressivement" à l'hébergement en hôtel. Autant d'éléments absents du montage final.
Dans ce long communiqué, le département souligne que le documentaire montre deux services dans lesquels "les enfants et les jeunes sont placés de manière temporaire, dans un contexte d’urgence", que concernant les trafics de drogue, l’ASE est "en lien avec le commissariat de proximité" pour y mettre fin, qu'il est "faux d’affirmer que l’établissement ne propose ni projet éducatif, ni accompagnement à la scolarisation" ou encore qu'une "feuille de route de prévention et de lutte contre la prostitution des mineurs" a été engagée. Tout en prenant "sa pleine responsabilité dans les problèmes identifiés", la collectivité liste les autres actions engagées, y compris en matière de contrôle des établissements, et fait savoir qu'un nouveau schéma de prévention et protection de l’enfance va être élaboré l'an prochain.
"La pédopsychiatrie est exsangue"
Lundi matin, trois jours à peine après la clôture de ses assises et la conclusion avec le gouvernement d'un "programme de travail commun" incluant entre autres le sujet de la protection de l'enfance (voir notre article du 14 octobre), c'était au tour de Départements de France (DF) de réagir par un communiqué de quatre pages. Entre autres pour mettre l'accent sur le fait que "les enfants à la charge de l’ASE sont tous dans des situations extrêmement complexes" et que les services sont "confrontés à des mineurs en détresse psychique, en perte de repères, aux comportements addictifs et souvent violents". Et l'association d'élus d'alerter une nouvelle fois sur un problème jugé crucial : alors que nombre de cas relèvent de la psychiatrie, "la pédopsychiatrie - compétence de l’État - est exsangue". "Le temps d’attente pour une intervention pédopsychiatrique peut atteindre une année", dit Départements de France. Qui souligne en outre que l'augmentation des placements "entraîne une saturation des structures".
"Qui peut honnêtement croire que les Ddass d’antan apportaient des réponses plus appropriées ?", s'interroge DF, comme le fait régulièrement son président, François Sauvadet, qui savait que ce reportage était sur le point d'être diffusé. À la clef, une demande centrale : celle d'une "intervention accrue de l’État dans sa pleine compétence en matière de santé". Et une "véritable charte qui engage les services de l'État : la santé, la justice avec le parquet, la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et les juges pour enfants, mais aussi la police et la gendarmerie, en lien avec nos associations et nos agents".
On rappellera que Charlotte Caubel et François Sauvadet ont signé fin septembre la convention constitutive du nouveau groupement d’intérêt public (GIP) "France Enfance Protégée" qui doit être opérationnel début 2023, dont l'objectif est précisément d'"améliorer la gouvernance nationale de la protection de l’enfance" et de "mieux appuyer l'Etat et les conseils départementaux dans leur action".
Réaction, enfin, de la part du secteur associatif, qui gère une part importante des établissements et services de l'ASE. Dans un communiqué commun, l'Uniopss et la Cnape (laquelle fédère environ 150 associations gérant un millier d'établissements et services) regrettent elles aussi "le parti pris de ce reportage visant uniquement à dénigrer l’image et les métiers de la protection de l’enfance". Estimant que "le respect du cadre légal et réglementaire par les autorités publiques elles-mêmes est partiel", elles soulignent qu'il "existe désormais des dispositions interdisant certaines pratiques dénoncées dans le reportage" avec la Taquet loi du 7 février 2022 et appellent "à ce que les discussions visant à rendre effectives ces mesures reprennent et aboutissent".
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