Développement du e-commerce, difficulté d'accéder au foncier, nuisances sonores liées aux livraisons, circulation difficile… Les modes de transports et de stockage des marchandises sont au cœur des préoccupations des élus locaux. Au total, les flux de marchandises dans la ville représentent 10% à 20% du trafic routier, d'après les données publiées par le programme Innovations territoriales et logistique urbaine durable (InTerLUD)*. Ils se répartissent ainsi : 50% sont liés aux ménages (déplacements d'achat par les particuliers et livraisons aux particuliers), 40% aux activités économiques, tous secteurs confondus et 10% sont liés à la gestion urbaine (déchets, BTP, déménagements…). Ce trafic a un impact considérable sur l'environnement : il est responsable d'un quart des émissions de CO2, d'un tiers des émissions d'oxydes d'azote et de la moitié des particules liées à la circulation urbaine d'après l'Ademe. Et les enjeux sociaux et économiques sont importants : le coût du transport de marchandises représente en moyenne un tiers du coût logistique global ; la logistique urbaine représente près d'un emploi sur dix au sein d'une aire urbaine. Et pourtant, "c'est un sujet qui, jusqu'ici, n'a pas été trop abordé par les élus locaux, explique à Localtis Alain Chrétien, maire de Vesoul et vice-président de l'Association des maires de France (AMF) qui a organisé le 8 mars 2023 des rencontres sur le sujet, on ne s'est pas suffisamment emparés du sujet".
Une image ingrate
"La logistique a une image ingrate auprès des citoyens, elle consomme du foncier, elle ne se voit pas, et l'acceptabilité sociale, avec les nuisances sonores des livraisons notamment, est de plus en plus faible, développe l'élu, co-président de la commission Développement économique, tourisme et commerce de l'AMF, le contexte, avec des habitants qui refusent l'installation d'entrepôts Amazon par exemple, n'est pas favorable à la mise en valeur de tous ces aspects logistiques." Par ailleurs, les élus disposent de peu de données sur les flux actuels, les livraisons et les besoins à terme. "Il y a de moins en moins de stocks dans les lieux de consommation finale, explique Alain Chrétien, on essaie de mettre en place des vade-mecum et des retours d'expérience, mais on est très limité dans ce qu'on peut faire les uns les autres ; c'est un sujet qui mérite beaucoup de réflexion." C'était l'objet de cette rencontre organisée par l'AMF à laquelle participaient des élus, des urbanistes, des représentants de la logistique et des transports pour partager leur vision. C'est aussi ce que tente de faire le gouvernement qui a élaboré une stratégie nationale de la logistique, présentée en décembre 2022 (voir notre article du 13 décembre 2022), dont une partie des mesures concerne spécifiquement les collectivités territoriales.
En matière de gouvernance, la stratégie prévoit notamment des déclinaisons locales, à travers des conférences régionales de la logistique (CRLog), qui nourriront les stratégies régionales comme les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) et, au niveau intercommunal, un comité technique de liaison de la logistique urbaine( CTLLU).
"Il nous faut une stratégie"
"Il nous faut une stratégie, avec des choix pour l'implantation des zones logistiques, détaille Alain Chrétien, mais cela se joue ensemble, via les intercommunalités pour les zones d'activités économiques (ZAE) notamment, mais aussi via les maires pour les flux dans les centres-villes". La question de la mutualisation par exemple, qui fait partie des solutions identifiées par les collectivités pour traiter la logistique urbaine, n'est pas simple. Les entrepôts sont souvent gérés par des marques de grande distribution, qui ont leur propre appareil. "Chacun va-t-il payer son propre entrepôt ou peut-on les partager entre plusieurs entreprises ?", questionne le vice-président de l'AMF qui met aussi en avant le problème de la responsabilité juridique des marchandises si les lieux de stockage sont mutualisés. Même chose pour la mutualisation des moyens de transport.
Autres pistes identifiées : utiliser les friches industrielles pour créer des zones de stockage, envisager ces flux "en hauteur" pour éviter de consommer du foncier supplémentaire avec le zéro artificialisation nette (ZAN) et les zones à faibles émissions (ZFE) à l'horizon. Des solutions plus techniques sont envisageables, comme l'optimisation des livraisons via des logiciels. Le verdissement des flottes, la planification de la logistique font aussi partie des pistes envisagées par les élus. Côté AMF, on imagine même un service public logistique des centres-villes.
Quelques essais de collectivités
Les collectivités locales tentent comme elles peuvent de développer ces solutions. A Grenoble, un plan d'actions pour une logistique urbaine durable a été élaboré en 2015, à la suite d'une concertation organisée par Grenoble-Alpes Métropole et le syndicat mixte des transports en commun (SMTC). Objectif : améliorer et faciliter les livraisons tout en gardant une ville attractive. Le plan se concentre sur les milieux urbains denses et la thématique du dernier kilomètre de livraison. A Nancy, c'est un schéma logistique territorial (SLT) qui a été mis en place à l'initiative de la Métropole du Grand Nancy, associant l'ensemble des professionnels de la logistique. Il prévoit notamment un diagnostic de la logistique sur le territoire, une animation pour comprendre comment un produit fabriqué en Asie arrive aux portes de la métropole, et une cartographie des fonctions et acteurs de la logistique sur le territoire.
A Paris, la ville s'est lancée dans une nouvelle stratégie de logistique urbaine 2022-2026. Dans la capitale, 500.000 colis sont livrés chaque jour, générant embouteillages et pollution. Des ateliers réunissant acteurs publics et privés ont permis d'aboutir à cette stratégie qui prévoit de renforcer le maillage de zones dédiées à la logistique urbaine pour développer une livraison du dernier kilomètre plus décarbonée et silencieuse, et d'augmenter le nombre de sites multimodaux pour limiter le transport routier. Le plan prévoit aussi de créer des zones de livraisons supplémentaires (1.000 en plus sur les 9.000 existantes) et 1.000 places de stationnement réservées aux vélo-cargos. La ville accorde des aides aux professionnels pour tendre vers une logistique moins polluante.
* Le programme InTerLUD a été retenu en février 2020 par le ministère de la Transition écologique dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE). Il est destiné à créer des espaces de dialogue entre les acteurs publics et économiques pour élaborer des chartes de logistique urbaine durable. Un réseau d'observation sera aussi développé à l'échelle nationale et au niveau régional et métropolitain pour la logistique urbaine durable.
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